La vie était redevenue douce. Tout plaquer, Marcel l’avait fait, enfin, pas comme ces guignols sur les réseaux sociaux qui s’inventent une soudaine bohème. Il avait réalisé l’exploit ultime, l’Everest triomphant d’une existence sociale de toute façon vouée à l’échec : il avait lourdé sa traînée fielleuse à la peau grêlée et toute pouacre, sa Bovary du vendredi soir ; il avait coupé toute communication, twitterienne ou non, avec cette mijaurée trop ingrate qui pompait son énergie et sa bonne humeur légendaire. En lui assénant un formidable coup de pied au cul du bord de la falaise, il avait fait acte d’hygiène presque autant que de rédemption.

Il avait refait sa vie. Trouvé une épouse aimante qui lui avait donné un bel enfant, habitait une petite bicoque sur la colline, côté ensoleillé de la vallée parce qu’il avait de la chance et se roulait parfois seul dans la neige au cœur de l’hiver en souvenir de sa psy qui l’avait un jour enjoint à simplement se laisser aller au plaisir d’incarner le cabot immature que son cœur d’adulte contrarié renfermait. Il travaillait la terre, le bois, les éléments nobles, avait laissé l’excrément et le noir pétrole à la ville, là où il n’appartenait plus. Parfois un aigle survolait son foyer.

La quiétude de ses jours nouveaux connaissait bien quelques orages quand il allumait la radio au moment de préparer le repas. Il y avait ces informations un peu crispantes, des fascistes dans nos campagnes, des rabougris pas tendres avec les classes populaires, l’avenir s’assombrissait pour son gosse et la terre. Il y avait des gens du gouvernement qui lui semblaient parler de choses bien loin de ses préoccupations ; il y avait des élus qui n’aimaient pas trop les électeurs. On lisait aussi parfois dans le journal que tout ça ne durerait pas, qu’une sourde catastrophe guettait.

C’était un jour. Puis tous les jours. Marcel préférait travailler le métal, ces derniers temps : cette fourche manquait de piquant, il fallait l’aiguiser. La radio zonzonnait maintenant des colonnes de chiffres et des bulletins apocalyptiques dès l’heure du petit déjeuner. On allait devoir faire l’école à la maison, le toit de celle du petit s’était écroulé. Et pourquoi il serrait le poing au moment de s’endormir, voilà qui l’empêchait de se reposer apaisé.

Un jour comme les autres, il n’y avait plus de neige. Tout avait ruisselé vers le fond de la vallée, il allait falloir retourner au turbin. On ne savait pas lui dire jusque quand, sûrement un sacré bout de temps, c’est dur pour tout le monde en ce moment, tu comprends bien. Il ne comprenait rien. Le travail était dur et ingrat, on ne s’écoutait pas les uns les autres, il y avait même des gens qui ne s’entendaient pas. Pourquoi on devait les voir tous les jours, alors. Un jour un type riche est arrivé, il voulait voir ce qu’on faisait. Il n’était ni content ni en colère, il ne serrait pas de mains, il a regardé partout puis il est parti. On va voir chez les gens comme ça et on repart, quand on porte le costume. Les soirs à la maison, c’était différent aussi, on parlait moins. Le petit agaçait parfois son père à gazouiller et à faire des caprices, écoute un peu ce qu’on te dit, merde. Et pourquoi j’ouvrirais pas une autre bouteille, quoi, j’ai bien le droit de me détendre, c’est pas toi qui, hein, merde aussi.

L’autre matin, une bourrade l’a réveillé. Tu ne vas pas bosser ? Il ne s’était pas levé. Tout devoir refaire. Il est arrivé en retard, s’est fait engueuler. Ça tournerait aussi bien sans moi, ce merdier. Des gars allaient au café après la journée, il les a suivis. Qu’est-ce qu’on boit ? Quelqu’un joue aux fléchettes ? On peut allumer la télé ? Soudain, un éclair a traversé le crâne de Picon, déchirant son cerveau en deux comme papier buvard. Qu’est-ce qu’on voyait là. Ben le match ! Ça va ? T’es tout pâle d’un coup. La seconde d’après, un corps d’apparence cadavérique ceint d’un seul slip pas tout propre partait à grandes enjambées vers un nulle part sordide en empruntant les chemins les plus tortueux du diable.


Le match.

Comme un batman de pacotille rechaussant son slip après la retraite, je me rends compte que ça me rentre encore comme de vieilles charentaises. Tout est en place, couilles (molles) comprises : Cartier est toujours là, les nombreux tocards d’origine grenat qu’il a recrutés aussi, les principes de jeu à la frilosité honteuse bien sûr. C’est comme la chambre d’un enfant mort dans une série américaine.

Côté terrain, les mêmes désillusions guettent et ne tardent pas à manifester le poids de leur mauvaise humeur, de manière sonore et malodorante de préférence, parce que sinon c’est pas rigolo. Au bout de cinq minutes, au terme de la seconde occasion franche des gens du Puy (aucune idée d’un quelconque gentilé pour ces quidams, pourtant ils le mériteraient bien), l’ASNL est menée, ses joueurs se replacent le dos voûté, d’autres restent mains sur les hanches.

Il faut toute l’incompétence, l’inconséquence et ce qui s’apparente au vrai niveau d’une équipe de National pour que les locaux encaissent un but et deux cartons rouges. Ils n’abandonnent cependant pas la victoire pour autant et le tout se termine dans un festival d’amateurisme aussi triste que la piste d’athlétisme autour de leur terrain ou encore cette caméra avec un poil dans la main qui oublie régulièrement de filmer l’action.


Les notes.

Personne n’aura de notes à ce compte-là, il faudra d’abord qu’on essuie la bave qui nous dégoûte du mors et que l’on reprenne notre souffle. Le nom des andouilles qui courent sur le terrain est effacé, illisible. Le nom du maudit qui n’est pas foutu de les faire marcher au pas est en revanche trop connu, trop criant, comme écrit en lettres de sang de la taille d’une géante gazeuse dans un ciel de haine.

Je suis revenu mais clairement pas pour espérer autre chose que de vous tartiner de la bouse sur la langue et envoyer des lettres d’insultes à vos grosses daronnes. Maintenant prouvez moi que si j’ai replongé dans cette maladie qui porte votre nom, il y a un espoir que je n’aie pas besoin de refaire tous les papiers pour m’inscrire une seconde fois au sanatorium, parce que ma phobie administrative n’y survivra pas.

Quant à ma femme et mon gosse, il vont bien, merci. D’aucuns (des jeunes, sûrement, ils vont pas venir nous faire chier ceux-là) diraient que je les ai « ghostés » mais qu’on ne s’inquiète pas, le Marcel est parfois capable d’une étonnante sollicitude : je leur ai envoyés un recueil des meilleurs phrases d’Albert Cartier en guise de livre de chevet à découvrir le soir en attendant la mort dans sa passoire thermique pas chauffée. Sympa !

À plus.

2 thoughts on “Le Puy Foot 43 – Nancy (1-1) : La Chardon à Cran Académie revient.

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