FRANCE – SUISSE (3-3 ; TAB 4-5) : L’ACADEMIE FRANCAISE AU FOND DU LAC LEMAN

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J’y crois pas

Sortir des poules, ils l’avaient fait (avec difficulté). Pour les Bleus, il s’agissait de renverser les voisins suisses en huitièmes de finale pour continuer leur route. Avec la manière tant qu’à faire. Complètement raté. « Hop ! », dehors. J’y crois pas.

L’autoroute des poules – surnom dû au fait que 16 (!) des 24 équipes engagées se sont qualifiées, soit 2 sur 3 c’est-à-dire une phase tout à fait ridicule dans le principe ; et non un surnom dû au fantasme de l’auteur d’un bitume fumant sur lequel moult gallinacés poseraient leurs ergots sur le bas-côté – étant arrivée à son terme, les Bleus passaient sur la route départementale. Moins de place de chaque côté, quelques nids-de-poule, du danger qui vient aussi bien d’en face que du chevreuil qui traverse : bref, la concentration était de mise, le moindre écart interdit.

C’est peu dire que la France a percuté de plein fouet le chevreuil. Les Bleus ont produit un match médiocre à 95%. C’est beaucoup trop pour une rencontre de haut niveau international. Les fautes sont partagées, nous y reviendrons. Mais il était nécessaire pour moi de donner l’idée globale de cette Académie avant que vous y entriez :

La compo :

Un point sur les blessures : au sortir du match face au Portugal, il y avait deux blessés : Digne (ischios) et Hernandez (genou récalcitrant). A l’entraînement, Lemar et Thuram ont été touchés ; Koundé a ressenti une gêne aux adducteurs. Bilan ? Digne et Julot officiellement forfaits pour ce huitième ; Lemar et Thuram devraient être disponibles ; Hernandez, c’est moins sûr.

Faute de latéral gauche à 100%, DD opte donc pour le 3-5-2. Enfin ! Logique avec nos défenseurs centraux de très haut niveau (Varane, Kimp… euh, Lengl… euh). Bien entendu, ça peut sentir le bordel : nos centraux ne jouent pas à 3 normalement et nos pistons ne sont pas des pistons. Possible qu’il faille écoper le bateau bleu.

Quatre défenseurs centraux et un milieu ne jouant pas à leur poste naturel pour un huitième de finale, dans un système très peu travaillé : what could go wrong ?

Le derrière : pour relativiser, mieux vaut voir Kimpembé central gauche dans une défense à 3 que latéral gauche dans une défense à 4 (je croyais) ; mieux vaut voir Lenglet central que… non ça marche pas ; mieux vaut voir Varane tout court.

Le milieu : outre la doublette Kanté-Pogba, intégrons nos pistons à ce milieu. Rabiot à gauche : pourquoi pas Lemar (sauf si toujours incertain) ? Pavard à droite : pourquoi pas Coman, bien plus évident, voire Sissoko dont on sait qu’il a la caisse ? Incompréhensible.

Le devant : le système permet a priori de mettre Grizou et les deux attaquants dans des bonnes positions. A Benzema de confirmer que son doublé face au Portugal l’a décoincé, à Griezmann de se mettre enfin dedans, à Kylian d’ouvrir son compteur.

Les deux absents de la feuille de match : Digne et Koundé, forfaits.

Le match :

Plutôt que de souffrir à la rédaction de chacune des lignes qui vont suivre, votre rédacteur a décidé de prendre du recul. Après tout, ce n’est que du football, pas vrai ? Hein ? Dites-le que c’est juste du football, du sport, un hobby, un loisir, une passion non consommatrice d’énergie, non suceuse de fluide vital, non provocatrice de gueule de bois sans alcool. C’est que du foot, pas vrai ? DITES-LE !

La première période des Bleus fut certainement la pire depuis des années, de mémoire en tout cas. Le 3-5-2 a complètement perdu l’équipe. Si on a le droit de mettre en exergue le cataclysme du côté droit Pavard-Varane, nul n’est exempt de reproche. Les couloirs ne fonctionnaient pas, les 3 centraux ne savaient pas où ni comment se placer, les milieux, perdus et hagards, n’avaient plus de repères, se faisaient déborder et ne trouvaient pas les attaquants forcés de dézoner. Les Suisses, sérieux, appliqués, jouant dans un système qu’ils maîtrisaient, ont logiquement pris l’ascendant. En direct, ça donne :

Côté gauche, Zuber, non pressé par Pavard situé à 10 mètres de lui, centre vers la tête de Seferovic, seul dans les airs car Clément Lenglet a décidé de ne pas sauter du tout, préférant chercher dans ses sphincters la merde qu’il n’avait pas encore ramenée dans son cerveau (0-1, 19e). Et c’est à peu près tout pour les 45 premières minutes. Les Helvètes ne font « que » jouer à leur niveau avec l’intensité nécessaire à un tel match ; les Bleus présentent une bouillie de football absolument impensable (aucun tir cadré). J’y crois pas.

Deschamps corrige le tir à la mi-temps : la France à 4 derrière avec Rabiot en latéral gauche, sortie de Lenglet et entrée de Coman. D’aucuns diront qu’il aurait pu faire ça au bout de 20 minutes tellement l’équipe était à chier.

Reprise et, nous l’espérons tous, retour d’une toute autre équipe. Caramba encore raté ! Pris dans tous les secteurs du jeu, les Bleus subissent de nouveau. Le super Zuber file côté gauche derrière Pavard ; Benjamin le tacle, intervention du VAR, pénalty confirmé… et arrêté par Lloris ! Fait incroyable vu les performances d’Hugo dans cet exercice avec les Bleus. Le capitaine a sauvé la baraque, j’y crois pas. Serait-ce le tournant du match ? Ca, j’y crois.

Les cinq minutes qui suivent l’arrêt de Lloris sont folles : Mbappé frappe d’abord juste à côté ; on sent les Bleus revigorés, comme si le destin (Hugo) leur avait dit « vous êtes des moins que rien ! C’est la dernière fois que je vous sauve le cul ! Sortez-vous les doigts maintenant » ; on trouve de nouveau Mbappé dans l’axe qui trouve Benzema, Karim contrôle-talonnade dans la course et égalise ! (1-1, 57e) ; j’y crois de nouveau, je vibre, le football ; et la révolte continue ! les Bleus combinent à gauche, Grizou voit son tir repousser par le portier suisse mais Benzema a suivi (2-1, 59e) ! Je vole.

Il est beau ce tournant du match hein ? Sonnés, les Suisses peinent à se relever mais restent dangereux sur les coups de pieds arrêtés notamment. Les Bleus n’accélèrent malheureusement pas pour enfoncer le clou. Mais Pogba est là : depuis les 25 mètres, sans prévenir, Paulo enroule un délice de ballon en pleine lucarne (3-1, 75e). Je suis avec Saint-Pierre aux portes du paradis. Au fond du trou pendant 45 minutes et au bord du gouffre lors du pénalty, les Bleus s’en sortent encore. J’y crois pas.

Que peut-il alors arriver à la France ? Que peut-il arriver à une équipe entraînée par Deschamps qui mène par deux buts d’écart à 15 minutes de la fin d’un match ? RIEN PUTAIN RIEN. NORMALEMENT RIEN. PUTAIN.

Sur un centre lambda venu de la droite, Seferovic, encore lui, devance un Varane apathique et place une jolie tête imparable pour Lloris (3-2, 81e). Bon, un petit relâchement, OK, maintenant on verrouille. Ou bien on laisse Gavranovic partir à gauche et frapper tranquillement pour tromper Lloris ? Heureusement, un hors-jeu d’un genou est signalé. MAINTENANT ON VERROUILLE BANDE DE PIGNOUFS. Qui dit verrouiller pour Deschamps dit « sortir un gars qui sait garder le ballon pour mettre un gars qui sait le dégager » : Sissoko remplace Griezmann.

Qui qui c’est qui recule ? Qui qui c’est qui joue dans ses 25 mètres et ne sort plus un ballon ? C’est nouuuuuuuuuuuus. Pogba perd un ballon dans l’axe, Gavranovic est lancé, il élimine beaucoup trop facilement Kimpembé comme un poussin et frappe à ras de terre. Lloris est battu (3-3, 90e). J’y crois pas. Les Bleus cèdent inexplicablement. Mais certains ont encore de la révolte à revendre dans les dernières secondes : côté gauche, Coman enchaîne contrôle de la poitrine et somptueuse frappe. La transversale renvoie le ballon ; le gardien était battu. J’y crois pas.

Les prolongations :

Les deux équipes sont cramées et ça se voit. Autant de trous entre les lignes que dans un bas résille. Qui a le plus peur d’en prendre un ? Qui a encore la force d’attaquer ? Difficile de répondre. Peu de situations sont créées. Mais Mbappé a, par deux fois, l’occasion de faire gueuler de joie 65 millions de Français. Deux frappes à côté. Ce n’était pas son soir, ni son Euro.

Les tirs au but :

Il n’y a rien à analyser en profondeur dans de telles séances de torture cardiaque. Même s’il a déjà sauvé la maison bleue pendant le match, on demande à Hugo d’en sortir une, évidemment. On demande aux tireurs de marquer, évidemment. On demande aux adversaires de tirer au-dessus, à côté, évidemment. De rater quoi. On demande à Mbappé de marquer son pénalty, évidemment. Mais pas plus à lui qu’à un autre. Ca fait mal, c’est l’apprentissage. Les plus grands ont raté, et même dans des moments autrement plus importants. Demandez à Baggio en 1994, à Trézéguet en 2006. C’est le football.

Les Bleus sont dehors. J’y crois pas.

Le débrief :

Disons-le sans détour : c’est le pire résultat des Bleus sous l’ère Deschamps, c’est-à-dire depuis 2012. Sur tous les plans. Se faire sortir dès les huitièmes, c’est un énorme échec. Se faire sortir par la Suisse (avec tout le respect qu’on leur doit par ailleurs ; allez voir le compte-rendu vu par les Helvètes et Sepp Déblatère ici), c’est un cataclysme. Au-delà de l’élimination en elle-même, c’est la façon qui inquiète. Manque de maîtrise complet, joueurs en-dessous de leur niveau, tâtonnements tactiques…

Hormis l’Allemagne, les trois matchs ont parfaitement incarné le bricolage du moment de Deschamps. Trois systèmes différents en 4 matchs sans jamais trouver la bonne formule. DD avait déjà « tâtonné » en 2018, mais à l’époque, les quelques tâtonnements côtoyaient de nombreuses certitudes (défense à 4 solide et inchangée, Matuidi dans un faux-rôle mais efficace, un trio offensif avec des automatismes et de nombreux matchs ensemble…). Bricolage.

Il y a eu les blessures embêtantes, oui. Mais pourquoi Lenglet, à court de compétition et jamais rassurant ? Pourquoi Pavard en piston droit, alors qu’un Coman était tout indiqué ? Pourquoi attendre 45 minutes pour rectifier le tir ? Pourquoi sortir Grizou à 5 minutes de la fin (on sait tous pourquoi) ? Plus globalement sur les 4 matchs, pourquoi si peu de changements et si tardifs ? Pourquoi s’entêter à mettre des joueurs pas à leur poste (Koundé latéral droit, Tolisso ailier droit, Pavard piston droit, Rabiot piston et latéral gauche…) ? Bricolage et manque de certitudes.

Performances collectives bien trop en-deçà de ce qu’exige le très haut niveau international en termes d’intensité, d’engagement, de prises de responsabilités ; équipe fébrile ; un groupe qui n’était plus sûr de sa force ; un onze qui se prend 2 buts dans les 10 dernières minutes. En bref : une équipe de Deschamps qui ne ressemble pas à une équipe de Deschamps.

La suite ? DD a un contrat qui expire après la CDM au Qatar dans un an et demi (novembre-décembre 2022). Malgré l’échec terrible, peu de chances que ce soit la fin de l’histoire. Le Graët a annoncé qu’il « allait discuter » avec lui ; DD a lui indiqué que « le groupe était avec [lui] ». Gagner fait partie de l’histoire. Perdre, aussi. S’il reste, DD a un an pour construire une nouvelle équipe sûre de ses forces car ne nous y trompons pas : la débâcle d’hier n’efface pas le travail immense accompli par Deschamps depuis 2012 et nous sommes toujours champions du monde en titre. Les joueurs extraordinaires sont toujours là : au sélectionneur d’en faire de nouveau une équipe qui gagne.

Les notes :

Lloris (4/5)

Il ne peut pas grand chose sur les deux têtes suisses et la frappe croisée. Il ne sort aucun tir au but pendant la séance mais nous maintient dans le match en arrêtant le péno qui aurait fait le break. Ca mérite plutôt 3 mais compte tenu des émotions et de cet arrêt qui a remis les Bleus dans le bon sens, ca fait 4.

Rabiot (0/5)

Absolument nul en piston, il a colmaté ce qu’il pouvait en latéral gauche mais s’est montré dilettante à de nombreuses occasions : un coup il presse pas le porteur, un autre il se fait passer et regarde le joueur partir… Trois baffes et au lit.

Les Trois Mousquetons, Lengletos, Kimpembos et Varanus, bringuebalant sur la corde de la médiocrité (0/5)

Tous pour un, zéro pour tous. A noter que Lengletos a été remplacé à la pause par K. Coman (3/5) à propos duquel on se demande toujours pourquoi il n’est pas titulaire ; passé tout près d’un but à la dernière seconde dont je vais faire des cauchemars façon Gignac 2016, il a été lui-même remplacé pendant les prolongations par M. Thuram (non noté) qui n’a servi à rien.

Pavard (0/5)

Il ne s’est jamais remis du coup de genou de Gosens lors du premier match. Ceci étant, il n’était pas bon non plus face à l’Allemagne avant cela. Un Euro apocalyptique.

Kanté (1/5) :

Pour son 235e match de l’année, Ngolo n’a pas eu l’impact souhaité. Souvent dépassé au milieu avec Pogba, il a malgré tout gratté plusieurs ballons dangereux en prolongations. Ca n’a pas suffi. Il faut aller dormir maintenant.

Pogba (2/5)

Le meilleur Bleu du match et le meilleur Bleu du tournoi. Sans lui, aucune passe en profondeur, aucune transversale. Un but incroyable, un tir au but inscrit. Mais défensivement, il a pris le bouillon comme tous les autres. Coupable sur l’égalisation suisse, ce qui fait une grosse tâche.

Mbappé (0/5)

Incroyable et clinique en 2018, il n’a pas marqué de tout l’Euro. Hier, il gâche plusieurs opportunités pour tuer le match et rate son tir au but. Kylian apprend, comme d’autres avant lui. Une carrière est faite de hauts et de bas. Un nouveau cycle d’ascensions doit commencer.

Griezmann (0/5)

O Antoine, my Antoine, our fearful trip is done… Grizou a traversé l’Euro comme une ombre. Rincé, en manque de lumière, il n’a pas eu l’influence escomptée sur notre jeu offensif, cette influence qui fait de lui, depuis des années, le leader de l’équipe et qui lui a réservé une place au Panthéon bleu. Remplacé par M. Sissoko (non noté), dont l’entrée à la 88e fut certainement un tournant : DD voulant sécuriser le score, il a fait sortir un gars qui sait garder le ballon pour un autre qui sait le balancer. On connait la suite.

Benzema (2/5)

Face au Portugal, j’avais indiqué : « puisque Karim a mis un doublé, je ne peux décemment pas lui mettre moins« . Bis repetita. Absent pendant une heure comme toute l’équipe, il se réveille en même temps qu’elle et place deux ballons au fond qui nous ont fait croire au meilleur. Remplacé par O. Giroud (non noté), pas trouvé, pas vu, pas joué : fut-ce son dernier match en Bleu…?

On se voit en septembre. D’ici-là : suivez Horsjeu, suivez l’Académie française pour ne rien rater de l’histoire des Bleus (compte-rendu des matchs, listes…), suivez-moi, abonnez-vous, faites des dons.

10 thoughts on “FRANCE – SUISSE (3-3 ; TAB 4-5) : L’ACADEMIE FRANCAISE AU FOND DU LAC LEMAN

  1. Je vous trouve dur avec Sissoko qui fait un travail remarquable avant de centrer pour la frappe de Coman. (et sinon, 16 sur 24 ça fait 3 équipes sur 4, pas 2 sur 3).

      1. Pour suivre Georges et faire une démo simple, j’aurais dit
        2 x 8 = 16
        3 x 8 = 24
        donc 16/24 = 2/3

    1. Ceci dit si c’est pour sa célébration à rallonge (on dirait que le mec voulait placer tous ces trucs comme si il n’allait pas en marquer d’autres après, et… Hem) ça se justifie

  2. C’est l’heure du bilan calmement.

    Leave Marcus Thuram alone.

    On avait fait un match merveilleux.

    Allez les Bleus ! Allez les Bleus ! Allez les Bleus !

  3. Changer ton animation offensive a 3 matchs d’un grand événement international, je ne me l’explique pas. Depuis l’Euro 2016. on sais Tous que c’est l’équipe de Grizou. Il fait la pluie le beau temps se ballade au milieu, devant sur les côtés. Et on vient lui mettre un Avant centre (excellent au demeurant) qui passe son temps à décrocher et venir jouer bas, le type d’avant centre a qui il faut donner les clés de l’équipe. Et ils n’ont même pas le temps d’apprendre à jouer ensemble.
    C’était tellement flagrant que les 3 de devant n’avaient aucun repère aucun automatisme. Mbappe avait décidé de ne jouer qu’avec Benzema, Grizou ne savait plus où se placer. Benzema aurait dû être rappelé plus tôt ou pas rappelé mais timing est merdique

  4. Intensité intermittente, gestion d’image ou lieu de répéter les efforts, et errances tactiques qui ont conduit à empiler les joueurs talentueux dans des rôles à contre emploi…pourtant, l’espace de 30 minutes, on a touché du doigt le rêve bleu avant d’enfoncer ce même doigt dans l’analité…

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