Je me marre. Il suffit que la moyenne de buts par match s’approche de 3 pour que tout le monde s’emballe. « Plus belle Coupe du Monde de l’histoire, tout ça. Ode au beau jeu… ». Quand j’entends ça, je m’étrangle. Plus belle Coupe, quand on regarde au hasard les éditions 54, 70, 82, on sent venir le foutage de gueule. Ode au beau jeu ? Qui OSE prétendre que le Brésil, les Pays-Bas ou la Belgique jouent bien ? La Colombie, je dis pas. J’ai pas envie de passer six ans dans la jungle avec Ingrid quoi. Mais un journaliste que je ne nommerais pas a laissé entendre qu’il s’agissait d’une Coupe du Monde de légende. Bordel. Bientôt, on entendra dire que Costa Rica – Grèce était un match de légende, à ce rythme. Un petit détour par le Larousse s’impose.

Légende. N.f. (…).
En matière sportive, se dit de joueurs ou d’événements dont le souvenir habite encore la mémoire collective, même de ceux qui ne les ont pas connus. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, lorsqu’on parcourt les forums évoquant des « matches de légende », les mêmes exemples reviennent sans cesse, avec la même constance qu’un « je crois que bon… » dans la bouche d’un footballeur :
France-Brésil 1986, 1998 ou 2006 en football. In Platini and Zidane we trust.
France-RFA 1982. La tragédie grecque.
France-Nouvelle Zélande 1999. La demi-heure magique du rugby français.

Chauvinisme ? Ca ne peut pas faire de mal à la grande masse des membres de ces forums, entre deux séances d’autoflagellation (surtout chez les fans de ballon rond).
Et en Coupe du Monde, ça donne quoi ? Si certains intitulés de grandes rencontres viennent immédiatement à l’esprit (RFA-Italie 1970, Autriche-Suisse 1954 ou un des chefs d’œuvre précités), il existe d’autres perles, sur lesquelles l’amoureux tombe avec la même extase que celle éprouvé par le fan de folk tombant par hasard à une brocante sur un vinyle de Bob Dylan.
J’ai donc tenté de faire démarrer ma 4L temporelle pour vous déterrer une de ces petites perles. Bon, elle a calé et je me suis retrouvé en 1980, en pleine séance de bondage entre Ronald Reagan, Margaret Thatcher et Leonid Brejnev, mais c’est une longue histoire. Et c’est superbement, après une intro hyper longue, que je vous présente…

Hongrie-Brésil 1966. Bien que situé au 1er tour, il constitue encore aujourd’hui une sorte d’apogée du football offensif.

A ma gauche, le Brésil, double champion du monde en titre, alignant une équipe au confluent de celles de 58 et 62 (Gilmar, Pelé, Garrincha…) et de celle qui s’envolera pour Mexico en 70 (Tostao, Gerson, Jaïrzinho). Dans un groupe relevé (avec les Hongrois donc, mais aussi les Portugais et les Bulgares), les Auriverde entendent sortir en tête, afin d’éviter l’URSS en quarts de finale.
A ma droite, la Hongrie, courant après sa gloire des années 1950 (et notamment sa victoire historique à Wembley en 1953). L’entrée des chars soviétiques dans Budapest n’a pas aidé cela dit, Puskas, Kocsis et consorts (le nom commun, hein, pas un joueur hongrois) ayant préféré s’exiler en Espagne. Mais la philosophie de jeu reste la même : force collective, jeu de passes courtes rapides vers l’avant.

Lors de leur premier match, les Brésiliens se sont imposés de façon poussive face à la Bulgarie (2-0), grâce à deux coups francs signés Pelé et Garrincha, rien que ça. Sauf qu’en cours de route, ils ont perdu leur maître à jouer, victimes d’agressions à répétition de Jetchev. Touché autant physiquement que moralement, Pelé regarde ce match des tribunes.
Quant aux Magyars, ils sont tombés sur l’une des énormes surprises de cette édition, le Portugal d’Eusebio et se sont inclinés 3-1. Pour éviter un retour précoce au pays, il leur faut donc « seulement » s’imposer contre l’un des grands favoris. Chiche ?
Au 4-2-4 qui valut une double couronne aux Brésiliens, les Hongrois opposent a priori un système semblable. Dans la lignée d’un Gustav Sebes ayant imaginé une alternative au WM pour battre les Anglais 6-3 à Wembley, Baroti choisit de s’appuyer sur un joueur pour enrayer la machine carioca. Et quel joueur ! Florian Albert, ballon d’or 1967, met au supplice l’arrière-garde adverse par ses dribbles, sa qualité de passe et surtout sa position sur le terrain, quelque part entre un regista à la Pirlo et un n°10 à la… oh bah au hasard à la Zidane, tiens.

57000 spectateurs ont pris place dans les travées du Goodison Park de Liverpool, pour assister à ce qui s’avèrera un concert de rock endiablé.
Sans attendre, les Hongrois prennent le commandement des opérations. Après une première frappe lointaine de Lima, une contre-attaque magyare arrive dans les pieds de Kaposzta, monté aux avants-postes, lequel transmet à Bené. Ce dernier se fend alors d’une série de dribbles déroutants qui installent littéralement le pauvre Paulo Henrique sur son postérieur, avant de déposer sa frappe du gauche dans le petit filet de Gilmar (1-0, 3e).
A peine deux minutes plus tard, Djalma Santos doit s’employer pour reprendre in extremis Rakosi. Farkas et Bené feront passer à leur tour un énorme frisson dans le dos de la défense. Sur une magnifique combinaison, Altaïr sauve encore les meubles, pour éviter le K.O. debout.

Alors que le but du break semble imminent, le Brésil obtient un coup franc à environ 35m des buts hongrois. Lima s’exécute avec sa douceur proverbiale, digne d’un Roberto Carlos. Le mur dévie le ballon, qui revient dans les pieds de Tostao. Celui-ci, invité de dernière minute à la fête en remplacement de Pelé, frappe sans hésiter du gauche et loge le ballon hors de portée de Gelei (1-1, 15e).
Loin de se décourager, les joueurs au maillot grenat repartent au front. A la 20e minute, ils réalisent même l’action la plus incroyable de cette partie, qui ne fut imitée que 29 ans plus tard par Patrice Loko et Reynald de Pedros. Rakosi centre de la gauche, Martesz remet de volée dans la surface et là, en toute simplicité, face à ce qui était considéré comme la meilleure défense du monde, Bené et Albert réalisent… un une-deux de la tête (!), avant que le premier nommé ne force Gilmar à une parade extraordinaire. Première standing ovation du match. Le gardien auriverde devra se détendre encore trois fois avant le repos, à chaque fois devant Farkas.

Au retour des vestiaires, plusieurs questions se posent. Les Hongrois tiendront-ils ce niveau de jeu ? Ne vont-ils pas se faire croquer par les Brésiliens en continuant à se projeter autant vers l’avant ? Eh bien, n’en déplaise à notre cher Frédéric Thiriez, offensive ne veut pas nécessairement dire suicide. Portés par une foule qui avait pris fait et cause pour eux, les Magyars ne relâchent pas leur étreinte et Albert accélère encore, si tant est que c’est possible. Pas un ballon hongrois n’entre dans le camp brésilien sans passer par le n°9. Portés par leur meneur de jeu, ses coéquipiers cherchent encore la faille mais ni Farkas ni Bené ne parviennent à conclure. L’arbitre ne bronche pas non plus quand Albert se fait sécher dans la surface.

Quitte à finalement inscrire ce fameux deuxième but, autant mettre les formes. Les Hongrois s’y emploient, et de quelle manière. Ne cherchez pas, pas plus que l’action WTF précitée, vous ne le réussirez sur FIFA. Une nouvelle contre-attaque trouve Albert qui, à une touche de balle (en talonnade, pour pimenter un peu), alerte parfaitement Bené en profondeur, dont le centre lobe Altaïr avant d’être repris de volée en pleine course par Farkas. But absolument splendide, imparable et seconde standing ovation.

Trente minutes restent à jouer, le Brésil se rue à l’assaut. Jairzinho et Garrincha jouent le tout pour le tout sur leurs ailes respectives, mais l’un n’a pas encore son percutant et l’autre ne l’a plus, ayant commencé à sombrer dans l’alcoolisme qui l’emportera en 1983. Opiniâtres mais sans imagination en l’absence du Roi Pelé, les cariocas pêchent dans la finition et les demis laissent des espaces dans lesquels s’engouffre Albert. C’est de là que provient l’estocade. En contre, Albert emmène trois défenseurs sur son porte-bagages, avant de les déposer délicatement tout en lançant Bené dans la surface. Refusant de se faire humilier une nouvelle fois, Paulo Henrique le descend. Pénalty. Meszoly le transforme (3-1, 76e). L’affaire est close.

Pour avoir refusé de bétonner et avoir battu le Brésil à son propre jeu, extrêmement offensif, les Hongrois méritent tous les éloges (comme Arsenal qui avait battu Barcelone à domicile il y a trois ans, avant l’expulsion scandaleuse de Van Persie au retour). Emmenés par un Florian Albert de gala, les Magyars prennent une option sur la qualification et disposeront aisément de la Bulgarie sur le même score au prochain match. Quant aux Brésiliens, ils tomberont face aux Portugais, victimes à la fois du génie d’Eusebio et du laxisme de l’arbitre, M. Mc Cabe, vis-à-vis de Morais, auteur lui aussi d’un nombre incroyable de tacles à la Cyril Rool sur Pelé. Curieusement, si cette rencontre fut le sommet du Mondial 1966 en termes de jeu, aucun des deux protagonistes ne dépassera les quarts de finale, les Hongrois chutant à ce stade face à l’URSS, victimes de l’immense Lev Yaskin.

Pour les Magyars, cette rencontre marque « l’apogée d’une renaissance », avant un long déclin, et ce malgré quelques coups d’éclats (demandez aux Salvadoriens, victimes d’un 10-1 en 1982). Le Brésil n’a lui pas su gérer son entre-deux générations mais se souviendra de ce match pour poser sa philosophie de jeu pour le Mondial mexicain. Comprenant qu’on peut gagner en jouant l’offensive à tout va plutôt que les genoux adverses, les Cariocas s’apprêtent à enthousiasmer le monde entier. Pelé avait déclaré après la défaite face au Portugal qu’il n’irait pas à Mexico. Comme quoi, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Et en football, Pelé était un génie.
Tu veux voir ça de tes yeux ? Si tu es feignant, voici les buts (colorisés en partie, c’est tout joli) : https://www.youtube.com/watch?v=8md_mGcqhQk . Si tu es un vrai, voilà le match en entier.

Johny Kreuz

2 thoughts on “HONGRIE-BRESIL 1966 : Le summum du beau jeu

  1. Même mon père était même pas né… et c’est en noir et blanc et sans les commentaires de Thierry Roland putain! #jesuisjamaiscontent,jesuisunvraifrançaisetj’t’emmerde

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