Pour s’accrocher : 12345.

Assise dans un large fauteuil de cuir noir, Athalie Bourrée du Toit, Commodore de la Ligue, scrutait le ciel depuis la fenêtre de son bureau, comme pour en deviner l’auguste intention.

Elle n’avait plus de nouvelles du prisonnier depuis qu’on l’avait extrait de la prison de Lille, au sein de la Coalition nordiste. La Fédérafion lui avait fait simplement parvenir un ordre de mission prioritaire, mentionnant l’identité de la personne à appréhender. Elle avait entendu parler de Louis Gustave auparavant. Comment il avait réussi à sauver ce convoi. Ses états de service, sa disparition soudaine des radars de la Section des renseignements. Sa réapparition soudaine en Qatarie.

De quoi la Fédérafion l’accusait-elle ? Athalie n’aimait pas être tenue à l’écart. Et elle détestait plus que tout la Fédérafion et ce traître de Jo-Milas Auchel, qui avait comploté et ourdi des assassinats de couloir pour s’emparer de la Commandature et devenir Grand Castor, grade le plus élevé en-dessous du Fifaraon. C’était de justesse qu’elle avait réussi à se maintenir à la tête de la Ligue, feignant l’alliance avec Jo-Milas. Elle se doutait bien que son apparente fidélité n’avait que peu de valeur aux yeux de ce féroce politicien qui semblait pouvoir obtenir tout ce qu’il désirait. Qu’était-elle sinon quantité négligeable dans cette vaste salsa du pouvoir ?

Elle rêvait parfois qu’elle n’avait jamais quitté sa petite ville natale, aux parfums de pissenlits soulevés par les vents guillerets, son petit centre médiéval et son marché hebdomadaire. Son bonheur était tout simple autour des légumes frais et des harangues des marchands. Elle n’avait jamais voulu ces négociations de bouts de ficelle en corridor, cette administration engoncée par ses statuts et ses procédures. Elle voulait courir dans les champs verts alentour de la maison familiale, elle voulait cuisiner pour tout le monde, attendre le coucher du soleil avec la promesse du jour d’après, chantant la même ballade. Elle voulait la douceur des matins d’avant, où il y avait encore de la place pour la vie, où l’on pouvait habiter dehors, dans n’importe quel endroit pourvu qu’il soit désiré.

Elle voulait retourner au stade de la grande ville. Voir tous les bénévoles chanter, oui, chanter. Voir un match en vrai, voir les joueurs danser autour du ballon, voir le football à l’air libre.

Le Terrible Novembre avait eu raison de tous les rêves d’Athalie. Si simple fut son bonheur, si rapide fut sa destruction. Elle n’avait eu le temps de rien emporter, le chaos général avait si facilement fait pousser ça et là des groupes dont le seul vecteur était la violence aveugle et gratuite, le pillage de toute construction existante. Un de ces troupeau de mort était passé par la bâtisse familiale des Bourrée du Toit et avait descendu les parents d’Athalie.

Elle essuyait une larme qui avait roulé le long de sa joue lorsque le télécommuteur vibra sur son bureau. Ne parvenant pas à reprendre ses esprits tout de suite, elle laissa l’appareil continuer sa sarabande grésillante pour se concentrer à nouveau sur la grisaille du dehors. Cela n’avait rien à voir avec la météo, c’était toutes émanations toxiques que l’îlot technique de la Ligue dégageait littéralement vers les cieux grâce à un système de pompage-évacuation. L’air était sain à l’intérieur du dôme protecteur, si tant est que sain voulût bien dire quelque chose aujourd’hui. L’air était respirable, préparé et dosé pour convenir à l’être humain. Mais c’était, dans toutes les cités habitées, un air de seconde zone qu’on distribuait aux citoyens. Celui qu’on appelait « l’air vif » était réservé à certaines castes et aux arènes où se déroulaient désormais les matches.

Athalie respirait en ce moment même de l’air vif, sa position parmi les plus puissantes de la Fédérafion lui permettait d’en bénéficier. Non pas qu’elle se sentait légitime à respirer une telle qualité, mais il lui semblait qu’elle ne pourrait jamais en supporter une autre, plus basse.

Le télécommutateur vibra à nouveau, mais cette fois-ci un voyant rouge s’alluma sur le boîtier noir. Urgence. Elle pressa le bouton de réception.

—   ­Oui ?

—   Commodore, mes excuses, bafouilla la voix de son auxiliant.

—   Je vous écoute, Jérémy, qu’y a t-il ?

—   Eh bien, il y a là une dame assez agitée qui désire vous voir. Elle a mis à sac le hall d’attente.

—   Eh bien vous n’avez qu’à envoyer les gardes de l’Interne, voyons ! Vous me dérangez pour rien, Jérémy, je n’apprécie pas cette mollesse qui vous caractérise.

—   Je suis désolé Commodore, mais j’ai fait intervenir l’Interne, ils l’ont saisie mais se sont aperçus d’un détail qui les a obligés à la relâcher et m’avertir.

—   Quoi comme détail ?

—   Elle porte un bracelet d’autorisation 352. C’est la plus haute existante et je…

—   Je sais ce qu’est un 352, Jérémy. A t-elle décliné son identité ?

—   Elle dit être votre sœur, Commodore.

 

A suivre…

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