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6 novembre

Ma chère Marie-Jeanne,

Ça y est, j’ai mon billet, mon visa est en règle, mes vaccins sont à jour, ma trousse à pharmacie pleine à craquer… je pars ! Mon directeur de recherches a enfin accédé à mes demandes répétées. Je devrais lui être reconnaissante, mais j’ai du mal à admettre qu’un si éminent universitaire prenne deux ans et au moins huit entretiens individuels à accepter qu’une thèse d’anthropologie nécessite de se réaliser en partie loin des couloirs poussiéreux d’une université de province, sur le terrain donc. Enfin, le résultat est là, et le dernier de ces maudits entretiens dans un resto spécialisé en abats a probablement été décisif. Les hommes sont si prévisibles, tout grand esprit qu’ils soient – et je n’ai rien pu avaler.

J’embarque demain par le train pour la ville de Rectoumgrad via Vienne et Kiev. Dix-sept heures de voyage à prévoir, heureusement j’ai tout Guy Debord à lire ! Tu ne connais probablement pas l’Analistan, ce petit pays de seulement 1,3 millions d’habitants coincé entre le Donbass et le Russie. Un confetti par rapport à ces deux monstres, mais aussi un vestige politique d’une époque que presque tout le monde pense révolue. Cela te paraîtrait certainement fou décrit par le menu dans une petite lettre composée à la va-vite entre deux t-shirts enfournés dans un sac de voyage, mais on peut presque affirmer que ce pays pratique une forme de socialisme réel, si tant est que cela ait le moindre sens. Ceci dit je ne veux pas m’étendre sur le sujet avant d’en avoir témoigné de mes yeux. Les faits, rien que les faits.

Pour autant mon excitation est réelle quant à mon objet d’étude. Je laisserai aux économistes le loisir d’analyser la nature des échanges en Analistan le temps venu. Ce qui m’intéresse, tu le sais, ce sont plutôt les complexions sociales des familles nucléaires matrilocales. Et crois-moi elles sont légions là-bas : chaque homme marié semble mettre un point d’honneur à vivre chez sa belle-mère ! Cela explique peut-être la démographie un peu étrange du pays, d’ailleurs.

L’Analistan est aussi le seul pays européen dont le championnat national de football est mixte (ce qui leur vaut d’ailleurs de ne pas pouvoir concourir dans les compétitions internationales organisées par nos très vertueuses instances européennes). Il est d’ailleurs ouvert à tout ce qui peut faire bouger un ballon, si j’ai bien compris. Difficile à croire ! Enfin, je verrai si je suis amenée à en parler dans mon étude. Je ne voudrais pas me rendre là-bas en faisant mine d’étudier un sujet et me retrouver à écrire De la Démocratie en Analistan

Je t’enverrai l’adresse de mon hôtel dès mon arrivée là-bas, en espérant que je n’aurai pas de mal à trouver où me loger. Si tes vacances au Saint-Séant ne sont pas trop harassantes, écris-moi !

Je t’embrasse,

Simone.

1 thought on “Lettres Persanales : Lettre VIII

  1. Cette étude me semble tout ce qu’il y a de plus prometteur. Donnez-nous plus d’anthropo féministe.

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